Chapitre 4

 

Université LaFayette

Gabriel était retourné à l'endroit exact où il avait découvert le badge à moitié calciné du professeur Sherwood. Bien qu'effrayé par l'idée de se sentir mourir une seconde fois, il devait trouver des indices, de véritables indices. Mais à présent qu'il se tenait là, au milieu des débris, il hésitait. Il y a peut-être un autre moyen… Oui… Mieux vaut prévenir Morgan… Il sortit le téléphone portable qui se trouvait dans la poche gauche de son jean et le laissa tomber presque aussitôt. La peur l'avait assailli avec une telle violence qu'il en était resté pétrifié.

Non… Non… NOOOOOOON !!!!

Une douleur atroce, lancinante, le foudroya. C'était comme si l'on venait de lui ouvrir la boîte crânienne avec un couteau de boucher. Incapable de résister à cette attaque aussi subite qu'éprouvante, Gabe sentit ses genoux faiblir et plier sous le poids de son propre corps, usé, vidé. Sa tête heurta violement le sol et ses yeux, restés grands ouverts, arboraient maintenant cette apparence vitreuse bien souvent synonyme de mort.

Debout !

L'étudiant à la chevelure brune ferma brusquement les paupières et les rouvrit tout aussi soudainement. Cette voix... Oui… C'est elle... Elle est tellement belle…

Le lien Gabe... Il ne faut pas le perdre… Lèves-toi .

Le garçon poussa un grognement presque inaudible et porta sa main libre à son front où une large plaie s'était formée. C'était juste. Il devait maintenir le contact qu'il avait établi en ce lieu s'il espérait pouvoir résoudre cette affaire. Pour cela, il se devait de faire abstraction de tout ce qu'il avait ou pourrait endurer et se focaliser sur son objectif. Il poussa le sol à l'aide de ses deux bras et releva sans trop de peine. Une fois debout, il prit une grande inspiration et commença à regarder tout autour de lui. Il cherchait un endroit, une sorte de point chaud, susceptible de le remettre en liaison avec ses voix :

« Voyons voir… Tu te tenais là et… Tu regardais… Dans cette direction. – Il s'arrêta, l'air satisfait. – Oui. C'est ici. – Puis il eut un violent soubresaut. – Non !! »

Mais qu'est-ce que tu as fait ?!... Il faut s'en débarrasser… Tu l'as tué ?!!!... Arrêtes de gémir et aides-moi ! Je sais où faire disparaître le corps…

Gabe eut l'impression qu'on le saisissait par les jambes et les épaules. C'était vraiment très étrange. Puis, soudain, ce fut la chute. Il sursauta et sentit qu'il perdait la communication. Hors de question ! Je dois tenir. Allez Gabe, tu peux le faire ! Il parvint finalement à se reprendre.

 Quoi ?! Ici ?!... Ce petit étang est parfait…

Le jeune Oswald ouvrit les yeux :

« L'étang derrière le Campus !! »

Il partit aussitôt au pas de course.

 

En cette fin d'après-midi, le soleil avait revêtu sa robe rose et amorçait les dernières heures de son règne quotidien. Baignée de lumière, l'Université LaFayette se dressait, majestueuse, au cœur d'un magnifique paysage verdoyant aux reflets irisés. Gabe marchait d'un pas rapide, dans une allée bordée de dahlias blancs et ne prêtait guère attention à la beauté alentours, trop préoccupé par les raisons qui l'avaient conduis ici. Bientôt, il parvint près d'un petit bosquet où reposait un étang couvert d'une fine mousse verdâtre. Il s'arrêta, l'air hésitant, le regard posé sur cette étendue d'eau stagnante :

« Bon, ben… Quand faut y aller, faut y aller. »

Le beau brun s'avança et sentit un léger frisson lui parcourir l'échine au contact du liquide pourtant à température ambiante.

Ce petit étang est parfait… Es-tu devenu fou ?!... Personne ne vient jamais ici... Est-ce que tu m'écoutes ?!... Il est trop petit pour qu'on s'y baigne et trop boueux pour voir quoi que ce soit… Tu me fais peur… Parfait…

Gabe tressaillit. Son pied venait de heurter quelque chose. Le coeur proche de l'explosion, il balaya la surface dans l'espoir de ne pas avoir à plonger dans cet étang maudit. Malheureusement, la vase qu'il avait remuée s'était mélangée à l'eau et il n'y voyait plus rien. D'accord… L'eau t'arrive au torse, ce n'est pas très profond… Tu peux le faire. Il prit une grande inspiration et s'immergea en vidant l'air de ses poumons pour se retrouver accroupi au fond du bassin. Là, il ouvrit les yeux et vit une forme floue se dessiner devant lui. Doucement, il s'approcha. Les contours se firent plus nets, puis ce fut la vision d'horreur, tout droit sortie d'un film de série B. Un visage livide en état de décomposition dont quelques lambeaux de chairs se détachaient et flottaient ici et là. C'en était trop. Gabriel remonta brusquement à la surface. Il passa ses mains sur sa figure, le souffle court :

« - Seigneur !! Hhh, hhh, hhh… Oh mon dieu. ! Hhh, hhh…

- Vous avez bien raison de prier. – Le garçon se retourna. L'ex professeur Sherwood, le regard menaçant, braquait une arme sur lui. A ses côtés, se tenait le professeur Winter dont le visage inexpressif ne laissait subsister aucun doute. Je suis mort. – Sortez de là ! Monsieur mon supposé ancien élève…

- Pour quoi faire ? Ne vais-je pas rejoindre le pauvre homme qui se trouve là dessous ?

- Sortez. De. Là. – Il tendait le bras, un doigt posé sur la gâchette.

- D'accord. – Effrayé, Gabe leva les bras et rejoignit les deux meurtriers.

- Maintenant, entrez dans ce bois. – Gabe obtempéra sans dire un mot. – Continuez. Plus loin. – Ils arrivèrent au centre du bosquet. – Stop. Sandra, vérifies qu'il n'a pas d'armes.

- Mais c'est ridicule ! Je n'aurais jamais plongé dans l'eau avec une arme ! – Protesta Gabe.

- Silence ! – Il fit à nouveau mine de presser sur la détente. – Sandra, fais ce que je t'ai dit. – Elle hocha la tête et fouilla le garçon.

- Il n'a rien.

- Bien. Vous êtes quoi ? Flic ? Un acolyte de Broke ?

- Je ne connais pas de Broke et je ne suis pas flic. Je ne suis qu'un simple étudiant.

- Ah oui ? – Il le regardait d'un œil suspicieux.

- Je vous jure que c'est la vérité ! J'ai appris pour l'incendie et… j'ai eu envie de…

- Jouer à l'apprenti détective ? – Gabe ne répondit pas. – Félicitations, tu es plutôt doué. Tu es remonté jusqu'à moi et tu as découvert le cadavre dans mon placard. Seulement, les gosses comme toi devraient savoir qu'on n'entre pas dans la cour des grands impunément. Ceci n'est pas un jeu, mais la réalité. Et, navré de te le dire, trouver l'assassin ne suffit pas pour gagner.

- Vous êtes malade ! Assassiner des gens pour une histoire débile de subvention, ça me fait vomir !

- Oh, mais c'est qu'il a du cran le petit… Et il est intelligent… Tout ce que j'aime… - Il s'approcha de Gabriel jusqu'à se trouver tout près de lui. – Alors ? – Il posa le détonateur de son arme contre la tempe droite du jeune homme. – Tu as trouvé le mobile, un des corps, les coupables…

- Un… des corps ? – Gabe déglutissait avec peine.

- Et oui… Tu seras le troisième…

- Tu es fou ! – Sandra Winter avait lâché cette phrase comme on lâchait une bombe. Sherwood s'était retourné et la regardait maintenant avec mépris. Mais elle poursuivit. – Nous ne devions qu'incendier ce bon dieu de département ! Juste l'incendier ! Et toi, et toi, tu as tué Broke ! Personne n'est jamais remonté jusqu'à lui ! Personne ! Ensuite, tu as tué ce pauvre Arnold. On n'aurait pu payer pour qu'il se taise ! Il n'aurait pas dit non, pas avec sa paye ! Et maintenant, ce garçon ! Tu tues par plaisir, tu es infecte ! Je ne peux plus le supporter ! Je ne te laisserai pas lui faire du mal ! Tu m'entends ! – Sherwood retira son arme de la tempe de Gabe et la pointa sur le professeur Winter.

- C'est moi qui ai fait de toi ce que tu es aujourd'hui ! Moi ! Tu me dois tout et c'est comme ça que tu me remercies ! – Tout en hurlant après sa complice, il se rapprochait d'elle, le canon de son pistolet braqué sur sa tête.

- Jeremiah ! Qu'est-ce que tu fais ?! Non, non, tu ne vas pas faire ça ?!

- Je vais me gêner… »

Gabriel, qui n'était plus sous le joug de Sherwood ne savait que faire. Il ne pouvait pas laisser cette femme, aussi coupable fut-elle, aux prises avec ce fou. Mais il risquait de se faire blesser, ou pire, mourir. Morgan t'a fait confiance. Tu dois t'en montrer digne. Son choix était fait. Il se jeta au cou de Jeremiah Sherwood et lui enserra la tête. Déstabilisé par son assaillant, l'ex professeur tira une balle en l'air puis parvint à reprendre le dessus en donnant un coup de coude dans l'estomac de Gabriel qui relâcha son étreinte. Il se retourna, prêt à faire feu, mais Gabe lui saisit le poignet. Une lutte acharnée s'engagea entre les deux hommes, le révolver tourné une fois vers l'un, une fois vers l'autre. Paniquée, le professeur Winter s'en fut en toute hâte. A peine venait-elle de sortir du bosquet qu'elle tomba nez à nez avec un homme muni d'un Beretta :

« Vous comptiez aller quelque part ? »

Sandra Winter ne comprenait pas ce qui se passait. Un autre homme, plus jeune que celui qui venait de l'intercepter, s'avança, il était blond et avait de magnifiques yeux bleus :

« - Mon frère, où est-t-il ?

- Votre… Frère ?

- Oui, mon frère. – Elle se retourna et indiqua du doigt le petit bois. – Boyle ?

- Prenez ça. – Le mercenaire tendit un P 38 à Morgan. – Maintenant, allez-y, je m'occupe d'elle. »

Morgan ne perdit pas de temps et disparut derrière les arbres. Faites qu'il ne soit pas trop tard, je vous en prie, faites qu'il ne soit pas trop tard. Il courait comme il n'avait jamais couru, avec un seul objectif, arriver avant l'instant fatidique. Il ne pouvait pas perdre un autre membre de sa famille, c'était hors de question ou il en mourrait. Puis, il les vit. Gabe était à terre, sonné et appuyé contre un arbre. L'homme de sa vision, Sherwood, l'œil tuméfié, s'apprêtait à lui tirer dessus. Morgan leva les mains au ciel et appuya sur la gâchette de son P 38. Le bruit cinglant de la détonation qui suivit surprit le meurtrier :

« - Tirez ! Et la prochaine fois c'est vous que je viserai !

- Qu'est-ce… - L'homme regarda Gabe, puis Morgan, ne sachant que faire. Finalement, il abaissa son arme et se tourna vers l'aîné des frères Oswald. – D'accord. Ne tirez pas.

- Gabe ? Ca va ? Demanda ce dernier.

- Ca va.

- Bien. – Il regarda à nouveau l'ex professeur de Sciences. – Maintenant, jetez votre arme.

- Très bien. »

L'homme obéit, puis se ravisa avant de loger une balle dans l'arbre qui se trouvait juste à côté de Morgan, manquant de peu sa cible. Celui-ci riposta instantanément et blessa son adversaire au bras qui lâcha son révolver :

« Bougez encore ne serait-ce qu'un petit doigt… Et je vous descends. »

Sherwood ne fit aucune réflexion.

 

Un officier de police fit monter les professeurs Sherwood et Winter dans son véhicule, gyrophares tournants. Gabriel regarda la voiture s'en aller avant de rejoindre son aîné qui faisait sa déposition auprès d'une jolie agent :

« - Et bien, ça sera tout. Merci, Monsieur Oswald.

- Je vous en prie. – La jeune femme retourna auprès de ses collègues et Morgan sentit une main se poser sur son épaule. Il se retourna. – Alors, comment tu te sens ?

- Je suis gelé. – Gabe remonta la couverture qu'il avait sur le dos. – Mais à part ça, je suis ok.

- Si tu ne t'en sors qu'avec un rhume et une légère entaille, je m'estimerai content.

- Oui… Comment tu as su ?

- Je te rappelle que je suis visionnaire.

- Non, pas pour moi. Mais pour le professeur Sherwood ?

- Tu croyais vraiment que j'allais laisser mon petit frère risquer sa vie sans intervenir ?! J'ai simplement mené ma propre enquête.

- Alors, quand tu m'as laissé faire, ce n'était pas parce que tu avais confiance en moi ?!

- Idiot ! Bien sur que j'ai confiance. Mais en tant qu'aîné je garderai toujours un œil sur toi. Ce qui compte c'est que pendant ce temps tu te sois changé les idées, que tu te sois prouvé que tu peux aider les autres et… C'est précisément ce que je voulais.

- Mfff. – Gabe secouait la tête tout en souriant. – Merci.

- Pas de quoi. »

Sur ce, Morgan passa son bras autour des épaules de son cadet et ils se dirigèrent vers le van où les attendait Harry Boyle.

 

Appartement des Oswald

Une main posa un combiné de téléphone sur une petite table en verre. Des voix se firent entendre et Eleanor et Garret passèrent la porte d'entrée de leur nouvel appartement :

« - Bonsoir vous deux ! – Fit Morgan à leur arrivée.

- Salut vieux. – Répondit Garret avant de se jeter sur le canapé. – Je suis vanné…

- Bonsoir mon chéri. – Eleanor attrapa Morgan par le cou et lui déposa un tendre baiser sur les lèvres. Mais, quelle ne fut pas sa surprise lorsque Morgan lui agrippa à son tour la taille et répondit à son bonjour en l'embrassant avec fougue. – Eh ! Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ?

- Il y a que je t'aime.

- Ca je le savais déjà. – Répondit-elle le sourire radieux. – Mais il y a autre chose, je le sens.

- En fait, j'ai de bonnes nouvelles. – Il lâcha Eleanor et fit quelques pas en direction de la baie vitrée avant de se retourner. – Qui nous concerne, tous les trois.

- Ben accouche ! – lança Garret soudainement ragaillardit.

- Nous avons du travail. – Morgan avait bien pris son temps avant de prononcer ces quelques mots.

- Où ?! – Une fois de plus, la belle écossaise allait droit au but, impatiente.

- A l'Université de LaFayette. Vous avez devant vous le nouveau directeur du département d'Histoire Ancienne !

- A la fac ?! – Garret était des plus interloqué.

- Oui, c'est parfait. Nous allons être nos propres patrons !

- Moi, ça me plait. – Poursuivit Eleanor.

- Eh… Je ne dis pas que ça me déplait. C'est juste que… Encore la Fac  !!

- J'abandonne… - Eleanor avait la mine dépitée. – Tu es irrécupérable… »

Garret haussa les épaules. Ses deux amis se regardèrent et échangèrent un sourire complice. Ce garçon était un sacré phénomène, s'il n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer.

 

Hôtel Châtelain – Paris, France

Une porte s'ouvrit avec fracas. Des hommes armés envahirent la chambre d'hôtel qui se trouvait derrière et inspectèrent les lieux. Un homme noir entra à leur suite. Il s'arrêta au milieu de la pièce et attendit. L'un des soldats se présenta devant lui :

« - R.A.S. Monsieur Abrahams. La chambre est vide.

- Encore et toujours vide. Il suffit ! Je refuse de jouer au chat et à la souris plus longtemps !

- …Tout porte à croire qu'ils aient bien logé ici, Monsieur.

- Ah oui ? Tout ?... Où sont les indices, dans ce cas ?

- Je…

- Parfaitement, oui, soldat. Il n'en existe aucun. Ils avaient tout prévu… Ce qu'il faut, c'est trouver leur véritable destination, la destination finale… Je veux une carte précise de tous les endroits où ils ont séjournés jusqu'ici.

- Bien, Monsieur. »

Le soldat prit congé de son supérieur. Il est hors de question que vous m'échappiez… Ce siège à l'Assemblée… Il est pour moi ! Tyler Abrahams sortit de la chambre, plus déterminé que jamais.

 

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