Chapitre 5

 

Institut Raven – Nouvelle Zélande, Ile Sud

Son magnum pointé vers le sol, Abrahams explorait l'étage inférieur de la partie annexe de l'Institut. Il affichait une mine placide, concentré, guettant le plus petit indice. Nul ne pouvait dire, ni même imaginer, l'état d'esprit dans lequel il se trouvait. Sanders, une quinzaine de pas en arrière, venait de lâcher la poignée de la porte qu'il venait d'essayer d'ouvrir. Il regarda en direction de son supérieur. Il détestait le voir ainsi. Dans ce genre de situation, il devenait invivable et être le second en chef s'avérait alors périlleux. Abrahams tourna sur sa gauche. Là, quelques gouttes de sang encore fraîches reposaient sur le sol. Quelqu'un était resté stationné à cet endroit pendant un petit moment. Le tout était de savoir pourquoi. Il inspecta le périmètre dans tous les recoins quand, après avoir levé la tête, il remarqua cette grille d'aération mal refermée :

« - On dirait que notre mystérieuse invitée surprise s'est faufilée par là… – Fit-il à l'encontre de son subalterne qui venait de le rejoindre. – Non seulement elle est parvenue à échapper à une équipe surentraînée de huit hommes, mais en plus elle ne manque pas d'ingéniosité…

- Elle n'ira pas bien loin. Nos hommes sont postés à tous les étages.

- Je n'en suis pas si sûr. Elle connaît le bâtiment. Très bien même… - Il marqua une pause. – Allons-y. »

 

Le couloir fut inondé d'une vive lumière bleutée lorsqu'un nouvel éclair frappa la terre non loin de l'Institut. Sous cet éclairage fantomatique, les yeux de Morgan avaient pris une couleur saisissante, plus incroyable encore qu'à son ordinaire. Le jeune homme jeta un regard inquiet en arrière, avant d'ouvrir les portes de la cage d'escalier et de s'y engouffrer. A peine commençait-il à descendre les marches qu'il reconnut le couinement distinct que produisait le frottement des semelles de chaussures sur les marches des escaliers. Morgan se pencha au-dessus de la rampe afin de jauger la distance qui le séparait de ses poursuivants. Trois étages plus bas, des soldats de Pandora se dirigeaient tout droit vers lui. L'archéologue se précipita alors au dernier étage en faisant le moins de bruit possible. Malheureusement, il y trouva une porte verrouillée. Il regarda partout autour de lui. Je suis mal barré… Oui, très mal barré…

 

Les huit soldats, que constituait l'unité qu'avait aperçue Morgan, s'étaient fractionnés en binômes afin d'inspecter chacun des étages de cette partie-ci de l'institut. Ce fut donc au nombre de deux qu'ils arrivèrent au troisième et dernier étage. Apparemment, il n'y avait personne. L'un des types tenta tout de même d'ouvrir la porte, mais elle restait fermée. Il était clair que personne ne pouvait être passé par là et qu'il s'avérait inutile de s'attarder plus longtemps. Les deux hommes s'apprêtaient donc à redescendre pour rejoindre leurs camarades de chasse, quand une ombre se dessina au-devant d'eux, à la suite d'un nouvel éclair. Ils se retournèrent et regardèrent en hauteur. Morgan, à croupi dans le petit renfoncement de la lucarne de un mètre sur un mètre qui surplombait la cage, poussa le rebord avec ses mains et se propulsa au-dessus des deux types pour atterrir sur la première marche de l'escalier. Le premier gaillard sortit son pistolet à tranquillisants alors que Morgan effectuait ce superbe saut digne d'un virtuose, puis il pivota sur ses pieds afin de lui tirer dessus. Il n'en eut pas le temps. Morgan avait déjà saisit son poignet et le contraignit à laisser tomber son arme au sol. Le second homme profita de cet instant pour l'étreindre par derrière. Les bras emprisonnés, Morgan frappa de toutes ses forces son vis-à-vis, à présent désarmé, avec les jambes et l'envoya se scratcher contre la porte close, tout en assénant un violent coup de tête en arrière au lâche qui avait osé l'attaquer en traître. L'homme, quelque peu étourdi, secoua la tête et se jeta telle une furie sur Morgan qui esquiva le poing de justesse en se déplaçant légèrement sur le côté. Il en profita pour lui défoncer la mâchoire avec un bon coup de coude, puis avec un direct du droit. K. O., l'homme s'étala de tout son long sur la dalle froide et sa tête heurta lourdement les genoux de son acolyte toujours inconscient. C'en était fini de lui. Morgan expira fortement, le regard posé sur ses adversaires. A présent, la voie était libre pour rejoindre le sous-sol. Kirsten lui avait bien fait comprendre, alors qu'ils étaient encore enfermés dans la salle de conférence, que ce serait leur point de ralliement dans le cas où ils seraient séparés. Il ramassa l'une des armes de ses agresseurs et dévala les escaliers. J'espère qu'ils ne t'ont pas eu Kirsten… Je l'espère vraiment… Qu'on se tire d'ici, tous les deux !

 

Les battants d'une porte pourvue de deux petites fenêtres rectangulaires s'ouvrirent sur le parking souterrain de l'Institut Raven. Abrahams et Sanders passèrent l'embrasure et firent un rapide tour d'horizon des lieux avant d'abaisser leurs gros calibres, un Python Magnum pour le premier et un Glock pour le second. Plus une voiture ne stationnait à cet endroit. Des places vides, encore et toujours des places vides et surtout, pas de Morgan Oswald. Abrahams rêvait de lui donner une bonne raclée, histoire de lui faire regretter de l'avoir fait galoper comme une bourrique à travers tout ce sacro-saint de bâtiment. Son seul regret était de devoir le garder en vie pour l'Assemblée. Cependant, plus il y réfléchissait, plus cela devenait jouissif. Quel plaisir d'imaginer ce petit crétin en vulgaire rat de laboratoire ! Il existe tant de façons de lui rendre ce précieux temps dont il m'a privé… Tant de façons de me venger de l'affront porté à mon nom… Abrahams émit un petit sourire à cette pensée. Elle exorcisait cette haine qui lui encombrait l'esprit depuis tant d'années. Il n'avait pas oublié son père. Il n'avait pas oublié sa traîtrise. Il n'avait pas oublié ses paroles : 

« Mon fils… Rappelles-toi que rien, rien n'est plus important que l'amitié, la véritable amitié. Tout ce dont ils m'accuseront, est la stricte vérité. J'ai commis ces actes, tous ces choses qui te paraîtront probablement horribles. Mais je ne regrette rien. Parce que c'était juste. Si c'était à refaire, je recommencerais. Il est mon ami, mon meilleur ami. Je ne pouvais rien faire d'autre, à part… à part continuer à être son ami. Souviens-toi de ces paroles. Je t'aime Tyler. »

 

Morgan parcourait le grand espace vide qu'était le parking dans lequel il venait de s'aventurer. Il y faisait bien plus sombre qu'à la surface et l'archéologue avançait quasi en aveugle. Finalement, il arriva près d'une petite porte. Une vague d'angoisse s'immisça en lui pour infiltrer chaque parcelle de son corps. Ce n'était pas bon signe, il l'avait déjà appris à ses dépends. Il posa donc sa main sur la porte et orienta toutes ses pensées vers l'autre côté. La nuit tomba subrepticement sur lui, silencieuse, froide et intense. Cette vision ne présageait rien de bon. Ce que Morgan ressentait en cet instant était plus qu'un mauvais pressentiment et pourtant, elle n'avait pas encore délivrée son message. Soudain, plusieurs flashs rapides de couleur jaune-orange fusèrent de toutes parts, semblables à une pluie de météorites. A n'en pas douter, il s'agissait d'échanges de coups de feux. Mais contre qui ? C'est alors que Morgan vit, à la lueur de plusieurs tirs successifs, les visages des soldats de Pandora déformés par la terreur. Du sang coulait le long de leurs cous et giclait sur son visage. Le jeune homme ferma les yeux, le visage crispé, et détourna la tête en plaçant ses mains de telles façons qu'elles le protègent. Il ne voulait plus voir ça, il en avait assez. Seulement, il n'arrivait plus à revenir dans la réalité. Il n'était plus aux commandes. Une force invisible le contrôlait, l'obligeant à aller au bout de cette vision. Ca me saoule, ça me saoule, CA ME SAOULE !!!! J'en ai RAZ LE BOL ! Vous prenez votre pied à me voir souffrir, hein ! Très bien… Morgan sembla se détendre. Les traits de son visage avaient repris un aspect plus serein . OK. Régalez-vous… L'aîné des Oswald rouvrit doucement les yeux. Devant lui, les images s'étaient figées. Le temps était comme suspendu. Il remarqua alors une chose qu'il n'avait pas eu le loisir de distinguer avant. Deux billes jaunes, deux immenses billes dont les pupilles étaient dilatées à leur maximum, luisaient dans l'obscurité. Morgan se rappela de Lucas. Un vampire, un vampire se trouvait à l'Institut. C'était de mieux en mieux. Le temps reprit alors son cours. Les yeux se rapprochèrent tout doucement de Morgan et virèrent au gris. Seulement, impossible de voir quoi que ce fut d'autre. Seuls les yeux subsistaient. Des yeux devenus si gris. Le visionnaire comprit alors ce que cela signifiait. Des images du passé. C'est ça ! Il réintégra son corps et cramponna son arme avant de rentrer dans la « cage aux lions ». Une vingtaine de cadavres jonchaient le sol. Ils avaient tous été massacrés. Avoir des visions étaient une chose, mais se trouver sur les lieux, au milieu de tous ces corps en était une autre. Ce côté du parking empestait le sang. C'était insoutenable. Le vampire ne les avait pas simplement tués pour se nourrir, mais pour le plaisir. Il les avait vidé de leur sang d'une manière beaucoup plus odieuse et cruelle : lacérés, écharpés, éventrés et tellement pire encore. Ecoeuré à la vue de tous ces hommes mutilés baignant dans leur sang et leurs entrailles, Morgan se précipita dans un coin pour y vomir tout le contenu de ses intestins, jusqu'à la bile. Toutes ses horreurs, pourquoi devait-il les supporter ? Tout ça, c'était la faute de son père ! Si il leur avait dit la vérité depuis le début, il n'aurait pas eu à subir cette merde, non, jamais. Depuis, il n'avait cessé de se forcer à faire face à des événements qu'il ne parvenait à appréhender. Et là, il devait faire de même. Il s'essuya la bouche avec le dessus de sa main et se redressa. L'arme au point, il erra sur le parking, en évitant de marcher sur les soldats morts. Bien qu'il savait que le vampire ne se trouvait plus ici, il préférait rester sur ses gardes. C'est alors qu'un bruit métallique assourdissant accompagné d'un cri lui fit lever la tête. Il n'eut le temps que de voir une forme sombre lui tomber dessus et il se retrouva le dos au sol, un corps pressé contre lui. Il sentit deux mains lui agripper les bras pour tenter de se redresser et découvrit le visage de Kirsten. Une nouvelle fois, leurs lèvres se retrouvaient à quelques millimètres l'une de l'autre et ils ne se lâchaient plus du regard. Cette fille rendait Morgan complètement dingue. Il en arrivait presque à oublier la femme qu'il aimait. Il n'en avait pas le droit. J'aime Elenaor ! Il déplaça donc la demoiselle sur le côté et se releva. Décontenancée, Kirsten resta un moment sur le sol avant de se lever à son tour. Elle savait qu'il ressentait la même chose qu'elle. Alors pourquoi me rejettes-tu, Morgan ?... Son regard s'arrêta sur une forme allongée. Puis, elle regarda tout autour d'elle :

« - Mon dieu ! Ils… Ils… Qui a fait ça ?!

- Tu ne me croirais pas si je te le disais… - Répondit-il, l'air consterné.

- Ca, c'est à moi d'en juger. Et puis… tu me dois bien ça. J'ai pris une balle pour toi. – Morgan remarqua la tâche de sang qui ornait le jean de la jeune femme au niveau de la cuisse.

- Tu as besoin d'un garrot ! Sinon…

- Non, ce n'est pas la peine. Ca s'est arrêté de saigner.

- Ce n'est pas joli à voir…

- Je t'ai dit que c'est ok. – Fit-elle sèchement.

- Hé !

- Désolée… – Kirsten secoua la tête. – Je suis pressée de foutre le camp de là… Ma voiture est plus à l'ouest. Allons-y ! »

Morgan comprenait sa nouvelle amie. Lui-même était pressé d'en finir. Il la rejoignit et attrapa son bras afin de le placer autour de ses épaules. Kirsten lui sourit et tous deux partirent en direction de l'ouest.

 

Une jeep grise, capote relevée, stationnait près d'une colonne de pierre rectangulaire. Il s'agissait du seul et unique véhicule qu'avaient pu repérer Abrahams et son second. L'homme noir savait qu'il ne pouvait appartenir qu'à la mystérieuse femme qui accompagnait Oswald puisqu'à part eux, le bâtiment était désert. Il lui suffisait simplement d'attendre. Vu la réelle inefficacité dont avait fait preuve son équipe de soi-disant experts, il ne lui faisait aucun doute que les deux jeunes gens ne tarderaient pas à arriver jusqu'ici. Et lui, Tyler Abrahams, serait là pour les cueillir. Il comptait bien amocher la belle gueule de ce blanc bec prétentieux, après tout, on lui avait ordonné de le ramener vivant, seulement vivant. Et puis, il brûlait de rencontrer cette mystérieuse fille. Elle était, en quelque sorte, un adversaire digne d'intérêt, presque autant que les Oswald. Une voix résonna dans son transmetteur :

« - Equipe Bravo à Commandement. Avons trouvés 20 soldats morts. Je répète. Avons trouvés 20 soldats morts. Ils ont été massacrés. Une véritable boucherie.

- Commandement à équipe Bravo. Qu'entendez-vous par boucherie ? A vous.

- Equipe Bravo à Commandement. Certains présentent deux petits trous dans le cou. C'est l'œuvre de vampires. Quels sont les ordres ?

- Eradication. Terminé. »

Sanders se tourna vers son supérieur :

« - Des vampires ? Ici ?

- Je n'aime pas ça, tout autant que vous, Sanders. Il faut agir et vite.

- Des bruits de pas, Monsieur. »

Les deux hommes se turent aussitôt. Au loin, le bruit de pas saccadés résonnait à travers tout le parking. Soutenue par Morgan, Kirsten se déplaçait tant bien que mal et tentait de faire le point sur tout ce que venait de lui révéler le jeune homme :

« - Donc… C'est grâce à ce don que tu es parvenu à trouver le mot de passe de mon oncle et que tu as vu un vampire massacrer tous ces hommes… Ouais… … C'est de la folie furieuse !

- Je t'avais prévenu.

- Tu es dingue, complètement dingue ! Pffff... – La jeune femme baissa la tête et se massa le front avec sa main libre. – Je te crois.

- Pardon ?!

- Je. Te. Crois.

- Mais…

- Je crois bien en la mythique Atlantide. Alors… pourquoi pas ça. – Fit-elle avec une moue après lui avoir coupé la parole. – Il faut juste… juste que je m'y fasse. Ma voiture ! »

Morgan suivit du regard la direction qu'indiquait le doigt de son amie. Un sourire orna son visage. Ils étaient sauvés. Ils allaient enfin sortir de cette prison. Ils accélérèrent le pas pour rejoindre la jeep contre laquelle la jeune femme s'appuya. Elle retira de sa poche arrière la clé du véhicule et l'inséra dans la serrure de la portière. C'est là qu'elle vit, à travers le rétroviseur, un homme noir apparaître de derrière l'une des colonnes du parking :

« - Morgan ! »

L'archéologue pivota aussitôt sur ses pieds, l'arme brandit droit devant lui. Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec l'homme qui avait attaqué le manoir il y avait bientôt un mois. Il se dressait tel un roc indestructible et le braquait, lui aussi :

« - Vous ! – Cria Morgan à son encontre. – Vous n'en avez pas assez de me gâcher la vie !

- N'y voyez rien de personnel, Morgan. Je ne fais que mon travail.

- Rien de personnel ?! Vous vous fichez de moi ! Vous avez fait tué mon père, cet inspecteur et dieu sait qui encore ! Tout ça, juste pour nous capturer, moi et mon frère… Seulement. Je n'ai pas l'intention de vous laisser faire.

- Pour ça il n'y a qu'un seul moyen, me tuer…

- Je pourrais le faire et facilement.

- Mais peut-être que je vous aurais avant.

- Vous ne pouvez pas me tuer.

- Non, mais je pourrais vous blesser avant que vous n'ayez eu le temps de réagir. – Abrahams affichait un sourire méprisant.

- Alors nous sommes dans une impasse. Parce que moi aussi je pourrais vous avoir avant que vous n'ayez eu le temps de faire quoi que ce soit.

- Oh… touché. – Répondit l'homme de Pandora avec ironie. – Vous pourriez prendre cette jeep et partir avec votre si charmante amie. – Morgan commençait à s'inquiéter. Cet homme semblait si sûr de lui. – Le hic. C'est que mon petit camarade qui est juste derrière… est prêt exploser son joli petit minois dès que je lui en aurai donné l'ordre. »

Morgan tourna la tête sous le choc de cette nouvelle. Un homme tenait Kirsten par la gorge et avait le canon de son arme collé contre sa tempe droite. Morgan reporta son attention sur Abrahams et abaissa son pistolet, le moral au plus bas :

« - Vous avez gagné.

- Je gagne toujours. »

Abrahams s'approcha victorieux du jeune Oswald et lui asséna un puissant coup de poing à la figure, contraignant Morgan à tourner la tête. Un mince filet de sang se forma dans le coin gauche de sa lèvre inférieure. Il reporta son regard sur son adversaire qui lui tendait la main :

« Votre arme. »

Morgan la lui remit sans broncher. Il ne voyait pas comment se sortir de cette situation. Et de plus, cet homme semblait prendre un plaisir malsain à le tourmenter, comme si il le haïssait. Or, ils ne se connaissaient même pas. Encore à cet instant, Morgan ignorait jusqu'au nom de ce monstre :

« - Relâchez Kirsten. Elle n'a rien à voir là-dedans.

-  Ca, elle aurait dû y penser avant de vous porter secours.

-  En attendant, vous m'avez moi. Elle ne vous sert à rien.

-  Vous pensez être en position de négocier ?... – Tyler se mit alors à rire, un rire sinistre et grinçant, amplifié par un échos qui rebondissait de mur en mur et semblait ne devoir jamais cesser. Quand soudain, son visage se figea. – Sanders, abattez-là.

-  NONNN !!! »

Morgan se retourna brusquement. Son visage s'était mu en un masque de terreur. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Et pourtant, il sentait son désespoir se noyer. Plus les secondes passaient, plus la haine emplissait ses veines pour s'insinuer dans chaque parcelle de son corps. Il était prêt à se jeter sur Sanders, même si il savait qu'il était déjà trop tard pour Kirsten et même si il se savait dans la ligne de mire de cette pourriture dont il était sûr qu'il n'hésiterait pas une seconde à faire feu sur lui. Cependant, il n'eut pas à se donner la peine d'attaquer. Sous ses yeux, Kirsten avait donné un grand coup de coude, à l'aide de son bras libre, dans l'estomac du dénommé Sanders, puis lui avait saisi le poignet pour le faire valser par-dessus son épaule jusque sur le sol. A présent elle maintenait toujours le poignet de son adversaire et le lui tordait pour lui reprendre son flingue. Morgan reporta aussitôt son attention sur Abrahams qui lui aussi avait assisté à ce retournement de situation. L'archéologue en profita pour s'accroupir et lui donner un croche-pied tournent, chose qu'il ignorait jusque là savoir faire. Déséquilibré, Abrahams tomba en arrière et se releva illico en bondissant les jambes les premières. De nouveau face à face les deux hommes guettaient les moindres gestes suspects de l'autre. Abrahams arbora un léger sourire en coin :

« - Vous ne pouvez pas imaginer combien j'espérais cet instant.

- Alors, battez-vous. »

De ce fait, Morgan lança son poing droit en direction d'Abrahams qui l'intercepta avec l'une de ses mains. Cependant, loin de manquer de ressources, ce qui continuait d'impressionner l'aîné des Oswald, il frappa son ennemi en effectuant un spectaculaire coup de pied retourné avec la jambe gauche.

 

De son côté, alors qu'elle était presque parvenue à ses fins, Kirsten avait reçu deux coups de pieds dans l'estomac de la part de Sanders qui, toujours plaqué au sol, avait envoyé ses jambes vers l'arrière afin de se libérer de son emprise. Sous le choc, la jeune femme s'était pliée en deux et avait reculé de quelques pas et ce, juste le temps nécessaire à Sanders pour se relever. S'en était suivi un combat très animé où aucun des deux n'était parvenu à prendre le dessus et à cet instant même, le soldat de Pandora se prenait une série de gauches et de droites qu'il ne parvenait plus à voir arriver tant il était secoué. Le vent venait enfin de tourner.

 

Morgan vint s'écraser contre un pylône. Il secoua la tête pour retrouver ses esprits et se redressa. Mais ?! Où est-il passé ?! Abrahams s'était évanoui. Une seconde plus tôt, il se trouvait là, juste devant l'archéologue et maintenant, il n'y avait plus personne. Morgan ne comprenait pas, surtout qu'il pensait avoir pris le dessus sur son adversaire avant de venir embrasser cette foutue colonne. Quelque chose l'attrapa par la gorge puis lui enserra la tête ce qui le ramena à la dure réalité du combat. Il se saisit du bras couleur ébène d'Abrahams afin de pouvoir respirer :

« - Ca ne sert à rien, Morgan. Vous allez bientôt rejoindre les bras de Morphée…

- Av… ant. – Parvint à articuler le jeune Oswald. – Je veux… conn… aître… votre nom…

- Abrahams. Tyler Abrahams. Ce nom ne vous dit rien ?...

- No…on.

- Votre père n'a même pas eu le courage… Finissons-en. »

Tyler resserra son étreinte. Morgan sentait ses forces l'abandonner et ses paupières se faire de plus en plus lourdes. Il remarque alors, à quelques centimètres de ses pieds, ce morceau de pierre en forme silex qui s'était détaché de la colonne quand il l'avait percuté. Il s'en saisit avec la pointe de ses pieds et tandis qu'il glissait prêt à sombrer dans l'inconscience, il le planta dans le tibia de ce salopard de Tyler Abrahams. En conséquence, ce dernier le relâcha et Morgan massa son cou endolori. Il était moins une. Il regarda vers l'arrière et constata qu'Abrahams avait retiré l'arme tranchante improvisée de sa chair. Du sang coulait le long de l'objet pointu et se répandait sur la main de l'homme au regard noir, plus noir encore que la haine qui l'aveuglait. Il se ruait sur lui et Morgan ne s'était pas encore relevé. Ses yeux scrutèrent rapidement le périmètre. Le Magnum d'Abrahams reposait à un mètre tout au plus de lui. Il se jeta de tout son long sur l'arme et au moment où Tyler s'apprêtait à lui planter le silex dans l'épaule, le jeune homme roula sur le côté et braqua le canon du revolver en direction de son front :

« - Je vous le déconseille !

- Vous ne me tuerez pas. – Répondit dans un grand sourire l'homme de main de Pandora toujours penché à quelques centimètres au-dessus de Morgan.

- Vous avez raison. »

Sur ces derniers mots, Morgan asséna un coup de cross au front d'Abrahams qui s'écroula sur lui, assommé. Morgan se débarrassa du corps encombrant avant de se relever. L'arme au poing, il était prêt à venir en aide à Kirsten. Toutefois, il abandonna cette idée.

 

Kirsten se baissa avec une extrême rapidité, esquivant de justesse le crochet de Sanders, et en profita pour exécuter un balayage au sol avec sa jambe droite. Malheureusement, celui-ci sauta par-dessus juste à temps. Ce mec est infatigable ou quoi ?! Ce combat commence un être un peu trop long à mon goût. Il est temps d'en finir ! Kirsten eut à peine le temps de se relever que son menton rencontra la pointe du pied de Sanders. Du sang gicla de sa bouche alors qu'elle faillit tomber à la renverse. Oui. Il est vraiment temps. Elle récupéra son équilibre, la mine et le regard soudain déterminés, et se précipita à grandes enjambées vers le mur sur lequel elle grimpa afin d'effectuer une retournée. Sanders leva la tête alors qu'elle passait au-dessus de lui, sidéré par un saut de cette envergure. Lorsque la jeune femme atterrit sur le sol, elle fléchit ses jambes et asséna un uppercut dans le menton de son adversaire, lui rendant ainsi la monnaie de sa pièce. Son corps s'éleva de terre et retomba lourdement sur la dalle de ciment. Kirsten porta le dessus de sa main à ses lèvres et croisa le regard de Morgan :

« - Merci pour le coup de main. – Dit-elle avec ironie.

- Voyons… Tu n'avais pas besoin de... – Il tourna la tête. A en juger le bruit de pas précipités qui ne cessait de s'accroître, la grosse artillerie se rapprochait dangereusement de leur position. – mon aide… Filons ! Et vite ! »

Kirsten opina de la tête, courut jusqu'à son véhicule, ramassa ses clefs qui s'étaient logés sous le pneu avant droit de la jeep et ouvrit la portière avant de s'y engouffrer. Morgan entra à son tour dans le cockpit alors qu'elle venait de lancer le moteur :

« - Ce serait mieux si tu fermais la portière.

- Oh, désolé. – Il clôt aussitôt la porte. – La précipitation. – Poursuivit-il comme pour s'excuser. »

Kirsten enfonça la pédale d'accélération et la jeep décampa dans un crissement de pneus tonitruant au nez et à la barbe des soldats de Pandora qui venaient de faire irruption dans cette partie du parking qui s'illumina. Le courant était rétabli. Toutefois, ils n'eurent pas l'occasion d'intervenir, la voiture était déjà hors de portée.

 

Piste d'envol privé – Collines zélandaises

Les palles d'un hélicoptère fouettaient l'air avec force alors que les premières lueurs de l'aube pointaient au-dessus des collines verdoyantes des terres de Nouvelle-Zélande, transperçant les gros nuages gris qui parsemaient encore le ciel. Aux commandes de l'appareil, Sean Erickson attendait patiemment que Morgan daigne monter à bord. Celui-ci tentait de convaincre sa nouvelle amie de l'accompagner :

« - Ils ont les moyens de te retrouver. Maintenant qu'ils savent que tu connais leur existence, ils feront tout pour t'éliminer. Je t'en prie Kirsten… Accompagnes-moi…

- J'ai certaines choses à régler. Je ne peux pas partir maintenant, ni comme ça. Ne t'inquiètes pas, je vais juste disparaître.

- Comment ?

- Je connais des gens… Ce serait trop long à t'expliquer mais… je t'assure que je ne risque rien.

- J'aimerais te croire…

- Allez file. J'ai horreur des au revoir trop embarrassants. »

Morgan ne put comprendre exactement pourquoi, mais il n'omit aucune autre remarque, il savait qu'elle ne risquait rien même si il connaissait les ressources quasi intarissables de Pandora. Il fit simplement ce que Kirsten venait de lui conseiller. Il grimpa dans l'hélicoptère et l'appareil décolla tandis que la jeune femme retourna s'installer dans son véhicule capoté. Morgan fixa la jeep jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse complètement de son champ de vision alors que l'hélicoptère s'enfonçait dans les cieux, sous la lumière argentée du soleil matinal.

 

Appartement des Oswald – Lawson

La porte d'entrée de l'appartement s'ouvrit sur un Morgan éreinté. Il posa ses bagages sur le canapé et s'affala juste à côté. Il n'avait même pas la force de se rendre dans sa chambre. Le décalage horaire et toutes ses heures de sommeil en retard l'avaient réellement achevé. Il n'aspirait plus qu'à dormir et pour longtemps, très longtemps. Malheureusement, ce fut un répit de courte de durée. Garret sortit de la salle de bain en claquant la porte et découvrit ce qui restait de son meilleur ami :

«  - Et bien… C'est quoi ce cadavre qui squatte notre salon ?

- Ah. Ah. Très drôle.

- C'est vrai, je reconnais. C'était une vanne foireuse. – Il s'installa à côté de Morgan et lui tapota la cuisse. – Alors ?

- Si tu veux bien... On en parlera demain.

- On est déjà demain… Tu as vraiment besoin de dormir toi. Allez, va, je ne te retiens pas.

- Ooh… Mais il y a aussi mes bagages.

- T'inquiètes. Je m'en occupe.

- Merci… - Morgan se releva avec difficulté et s'étira. – A demain… on plutôt ce soir.

- Ouais. Et il faudra qu'on ait une discussion. – Morgan regarda son ami l'air interrogateur. – A propos d'Eleanor.

- Je pense aussi qu'il est temps. Mais là… mon lit m'appelle.

- Alors qu'est-ce tu fais encore planté là ? »

Morgan laissa échapper un léger râle et s'éloigna d'un pas las.

 

QG des mercenaires

Le capitaine Patterson tapait sur un punching-ball, enchaînant des séries et des séries de coup de poings plus rapides les uns que les autres, quand il s'immobilisa brusquement :

« Que voulez-vous, Gabriel ? »

Le jeune homme se tenait bien droit derrière le mercenaire et ne cilla pas une seule seconde quand ce dernier, sans même s'être retourné, l'interpella :

« - Je suis prêt.

- Et, comment puis-je en être certain ?... – Patterson ne s'était toujours pas retourné et s'affairait à retirer ses gants de boxe.

- Vous ne le pouvez pas.

- Je vois… - L'homme fit soudainement volte face et jeta avec force l'un de ses gants sur le jeune Oswald qui l'intercepta d'une seule main et sans aucune hésitation. – Vous l'êtes, en effet. – Un long silence s'installa entre les deux hommes. – Enlever vos chaussures et rejoignez-moi. L'entraînement va pouvoir commencer… »

Un léger sourire orna le visage de Gabe qui retira très vite ses chaussures. Il était temps pour lui de se prendre en main. Pour la première fois de sa vie, il se sentait en harmonie avec lui-même. Il n'y avait plus de place pour le doute, ni pour l'introversion. Du moins, il mettrait tout en œuvre pour que cela devienne un jour une réalité. Il regagna le ring de combat et le cours commença aussitôt avec une démonstration de plusieurs coups de pieds que Gabe devait reproduire. Patterson l'aida même à se positionner correctement tout en lui donnant les explications nécessaires. C'était Fergus qui avait raison. Le cadet des Oswald apprenait vite.

 

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