Chapitre 1

 

Librairie Samedi – Lawson

Les portes de la vieille armoire, grandes ouvertes, dissimulaient en partie un Gabe tout bonnement tétanisé par la stupeur. Il ne parvenait pas à le croire. Dans ce coffret, là, juste sous ses yeux, reposait un morceau de tablette sur lequel était gravé des symboles atlantes dont celui représentant la maison d'édition Samedi. Par ailleurs, celui-ci luisait d'un étrange éclat orangé. Je le savais ! Enfin, on va pouvoir avancer… Le jeune Oswald se saisit aussitôt de son téléphone portable et composa le numéro de son aîné. A la seconde sonnerie, il pivota sur sa droite et tomba nez à nez avec la gérante. Il n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot qu'elle souffla sur la poudre blanche qui reposait au creux de sa main. Gabe fut alors saisi d'une incontrôlable quinte de toux et s'effondra. Les yeux de la sorcière virèrent au blanc et les traits de son visage se durcirent :

« J'ai horreur des petits fouineurs. »

 

Université LaFayette – Dpt. Histoire Ancienne

Les stores à moitié clos du bureau de Morgan laissaient passer les quelques rares rayons du soleil matinal qui parvenaient à percer la couverture nuageuse de ce dernier jour de novembre, baignant de leur lumière chatoyante l'ensemble de la pièce à présent parfaitement aménagée. La porte d'entrée s'ouvrit soudain sur trois silhouettes indistinctes. L'une d'elle appuya sur un interrupteur et le bureau s'éclaira. Morgan se tourna vers Eleanor et Garret :

« - Je vais ouvrir les stores.

- Ok. Moi je vais m'empresser de poser tout ça sur le bureau. – Répondit Garret en passant l'embrasure de la porte les bras chargés de bouquins.

- Attends, j'ai besoin de… ça. – Fit Eleanor en extirpant un étui à lunettes de la pile.

- Hé ! Surtout ne te gênes pas. J'ai failli tout faire tomber !

- Arrêtes ton cinéma, tu veux !

- Ce n'est pas toi qui t'es tapée quatre étages aussi chargée qu'un chameau !

- Laissez-moi faire, je m'occupe de tout. Ce n'est pas ce que tu as dit ?

- Gnagnagna…

- Non mais regardez-les-moi… De vrais gamins… - Intervint Morgan qui venait de faire le dernier tour de manivelle. – Tu peux éteindre la lumière, chérie, c'est bon.

- Ok. »

La jeune femme s'exécuta aussitôt et rejoignit les garçons qui commençaient à disposer les ouvrages sur le bureau. Elle chaussa ses lunettes et ouvrit l'un des livres à l'endroit indiqué par le marque-page avant de le placer à cheval sur un autre bouquin ouvert. Sur les pages présentées figuraient divers textes écrits en caractères cunéiformes.

 

Bayou – Extérieur Lawson

Etendu, dos contre terre, sur le sol marécageux du littoral louisianais, Gabe se réveilla brusquement dans un souffle, comme si il venait brutalement de reprendre vie. Il regarda autour de lui, totalement désemparé. Il ne savait pas où il se trouvait et encore moins comment il était arrivé là ni pourquoi. Il avait du mal à se rappeler ce qui s'était produit et seules quelques images lui revenaient en mémoire. Ce n'était pas brillant. Allez Gabe, fais un effort ! Il regarda sa montre et constata qu'il était 10 h 03 du matin. Voyons… Je me rappelle avoir travaillé sur mon devoir de psycho, puis… d'être allé me coucher… et… et… et merde ! Gabe passa ses mains sur son visage et entreprit de se lever. Une chose était sûre, il n'était plus dans son lit et la matinée était déjà bien entamée. Il fouilla dans ses poches dans l'espoir de trouver quoi que ce soit qui aurait pu l'aider, en vain. Ni portable, ni portefeuille, ni vulgaire note, force était de constater qu'il n'avait rien sur lui :

« Génial ! Me voilà paumé au milieu de nulle part… – Il frotta l'arrière de son pantalon. – et couvert de boue en plus… »

 

Université LaFayette, Dpt. Histoire Ancienne – Lawson

Deux heures s'étaient écoulées depuis qu'Eleanor, Garret et Morgan étaient arrivés à l'Université. Attablés autour du bureau de ce dernier, maintenant jonché de documents et ouvrages divers, tous trois étaient absorbés par le travail de recherches qu'ils avaient entrepris. Garret appuya sa tête devenue bien trop lourde contre son poing et jeta un œil sur le parchemin d'Allilayah qui trônait au centre de l'amas de paperasse :

« - Ca n'a aucun sens… - Ses deux amis se tournèrent vers lui, puis s'échangèrent un regard lourd de sens. – Franchement, on a suivi toutes les indications laissées par Covington, on a comparé à l'atlante chacune des formes d'écritures issues du sumérien, que ce soit l'akkadien, le hittite ou l'assyro-babylonien, et ce à partir des différentes déclinaisons qu'elles ont subies sans obtenir le moindre résultat. Le professeur s'est forcément trompé quelque part ou alors c'est Janna…

- Le professeur ne peut pas s'être trompé. – Le contredit aussitôt Eleanor. – Les caractères atlantes sont trop proches du sumérien dans leur forme comme dans leur signification. C'est donc le seul dénominateur commun à toutes ces langues. – A ces mots, Morgan se tourna vers sa fiancée et l'observa avec cette expression qu'il arborait lors d'importantes découvertes. Il s'empara du parchemin et réexamina chacun des ouvrages qui l'entouraient d'un bref balayage de la tête.

- Mais oui, c'est ça !

- Ca quoi ?! – Demanda Garret, l'esprit encore bien encombré par ces deux heures de travail intensif.

- C'était là, juste sous nos yeux ! Comment ais-je pu être aussi bête !

- Chéri, s'il te plait… Explication. – Le coupa Eleanor, pressée qu'il en vienne au fait.

- Euh… Oui .Que le sumérien soit une déclinaison de l'Atlante, ça, ça ne fait aucun doute. Mais notre erreur a été… de nous en servir comme référence… comme intermédiaire entre l'atlante et toutes les autres formes d'écriture “issues du sumérien”. – L'aîné des Oswald signifia l'emploi de guillemets en les mimant avec les doigts. – Il nous faut oublier tout ce qu'on nous a enseigné. La toute première forme d'écriture jamais découverte n'est pas le sumérien. Nous, nous savons qu'il s'agit de l'Atlante. Ce qui signifie…

- Que c'est l'Atlante qui doit nous servir de référence. – Termina Eleanor qui venait de comprendre où Morgan voulait en venir.

- Exactement.

- Oui… – Poursuivit Garret qui venait d'émerger à son tour du brouillard. – Toutes ces langues viennent en fait de l'Atlante.

- Et oui. – Approuva Morgan. – Il ne nous reste plus qu'à procéder à un recoupement. »

Les trois amis opinèrent de la tête et reprirent leur travail avec entrain. A présent, ils savaient où aller et comment y aller.

 

Bayou – Extérieur Lawson

Alors que le soleil de midi, à présent parfaitement dégagé, dardait ses puissants rayons au-dessus de la ville de Lawson, une brume épaisse s'était formée au cœur du bayou et il était devenu quasiment impossible d'y voir à plus de un mètre. Déambulant dans ce paysage fantomatique digne des plus grands films d'horreur, Gabe ne savait ni quelle direction prendre ni si il se trouvait sur le bon chemin. Incapable de discerner au-delà du bout de son nez, il s'adossa à l'arbre couvert de mousse qui venait de lui barrer la route et se laissa glisser jusqu'au sol. Il avait espéré qu'une fois tiré de sa torpeur, il aurait été capable de se rappeler les événements qui l'avaient mené ici, mais il n'en était rien. En fait, il se sentait de plus en plus fatigué et il avait ce sentiment que les choses lui échappaient, comme si il se vidait de son essence, de ce qui faisait qu'il était lui. Il croisa ses bras sur ses genoux, cala aussi bien que possible sa tête contre le tronc de l'arbre et ferma les yeux. C'que je peux être fatigué… Je vais me reposer une ou deux minutes… juste une ou deux… Alors qu'il s'endormait, un léger bruissement le fit sursauter. Il prêta plus attentivement l'oreille et tenta de percer l'écran de fumée qui l'entourait. Rien à signaler. Non mais quel idiot ! Ce devait être très certainement le vent ou bien un petit animal. Gabe se décontracta et s'appuya pour la seconde fois contre le tronc de l'arbre qui, malgré la rugosité de son écorce, lui servait de repose-tête. Un claquement d'eau, suivi d'un second, puis d'un troisième, lui signalèrent pour de bon qu'il n'était pas seul. Il se releva rapidement et regarda partout autour de lui. Il n'y voyait rien, absolument rien :

« Y'a quelqu'un ? Si il y a quelqu'un, répondez s'il vous plait ?... »

Le craquement distinct d'une branche qu'on venait d'écraser le fit déglutir. Il recula de quelques pas, ses yeux fixant le brouillard avec appréhension :

« Pou…poupourquoi vous ne répondez pas ?... »

Pour toute réponse, un geignement sinistre lui parvint aux oreilles. Bon sang ! Mais qu'est-ce que c'est ? Il fit un nouveau pas vers l'arrière, quand soudain, son talon rencontra une racine. Déséquilibré, Gabe tomba dans une sorte de marre boueuse. C'est là qu'il vit une silhouette se dessiner à travers la couverture brumeuse. Il se releva avec difficulté, le regard toujours vissé sur cette forme mouvante. Il se retourna, prêt à prendre ses jambes à son coup, mais s'immobilisa aussitôt. Face à lui, le visage décomposé, vêtu de haillons, un zombi le contemplait de son regard vide :

« Seigneur… – Murmura le jeune Oswald dans un souffle s'évanouissant vers les ténèbres. »

Puis, Dans un soudain relent de conscience, il envoya son poing à la figure de la créature revenue d'outre tombe à l'instant même où elle s'apprêtait à le saisir par la gorge.

 

Chapitre 2 >>> >>>