Chapitre 1

 

20 ans plus tard – Université de Glasgow, Ecosse

Une fois n'était pas coutume, le soleil de mi-octobre brillait de tout son éclat sur la ville de Glasgow. Perdu dans ses pensées, Gabriel Oswald, étudiant en psychologie, admirait le clocher de l'Université à travers les carreaux de sa salle de classe. Dans quelques heures maintenant, il reverrait son frère aîné après sept longs mois d'absence. Archéologue, ce dernier était parti réaliser des fouilles en Chine, aux pieds du massif du Tibet. Pour Gabriel cette séparation était difficile. Son père, accaparé par ses affaires, n'était que très peu présent. Elevés pour ainsi dire par leur majordome, les deux frères avaient développé des liens puissants et ce départ prolongé avait plongé le jeune homme dans une écrasante solitude, d'autant plus que Fergus ne respirait plus la prime jeunesse. Une main posée sur son épaule le tira de sa torpeur :

« - Eh… Gabe… - Lui chuchota son voisin de droite. - T'en penses quoi ?

- De Quoi ?

- Anna-Lisa… Elle te plaît ? Oui ou non ?

- Hein !

- Tu te fous de moi ? !… Ca fait dix minutes qu'on parle du bal de samedi soir…

- Désolé… Je… Elle est plutôt jolie. Mais, franchement… elle est si… distante, si froide.

- Justement. Imagines… Tu l'invites au bal, tu lui sors le grand jeu et finalement…

- Oh non…

- Si, si. Je l'aurais bien fait à ta place, mais apparemment la gente féminine ne jure que par toi, alors qu'en vérité, je suis infiniment plus séduisant.

- Tu m'en diras tant… Sérieusement, on ne la connaît ni d'Eve ni d'Adam. Lui jouer un mauvais tour serait déplacé.

- Tu l'as vu faire des efforts pour s'intégrer toi ? ! Elle est prétentieuse au possible. Je dis qu'il faut la remettre à sa place. - La sonnerie retentit. - Réfléchis-y. »

Gabe hocha de la tête, attrapa ses affaires et fila pour son rendez-vous avec le directeur du département.

Le bureau du professeur Hardaway était à l'image de son propriétaire, austère. Ordre, propreté, mobilier en chêne, l'endroit inspirait le respect. Installé derrière son bureau, l'homme de science lorgna derrière ses lunettes le nouveau venu. Satisfait de son inspection, il leva la tête et invita le jeune monsieur Oswald à s'installer :

« - Et bien, Monsieur Oswald. Si vous m'expliquiez de quoi il retourne.

- Le professeur Graham vous a certainement fait part de mon intention d'intégrer ses cours ?

- C'est exact.

- Bien… Sachez d'abord que je n'ai pas pris cette décision à la légère. Je sais pertinemment que changer de spécialité en cours d'année n'est pas recommandée, surtout dans mon cas. Cependant, je suis prêt à assumer le surplus de travail que cela engendrera.

- Je ne me fais pas de soucis à ce propos. Seulement, comme vous l'avez fait remarquer, la criminologie et la psychologie infantile sont deux domaines totalement différents…. Par le passé, c'est vrai, j'ai donné mon accord à d'autres étudiants dans votre situation, mais les cours suivis étaient étroitement liés avec ceux abandonnés… Vous rendez-vous compte qu'il vous faudra rattraper deux années ainsi que ces deux derniers mois, et ce, en plus de vos cours actuels ?

- Je ne suis pas de ces personnes qui agissent sur un coup de tête. Comprendre les mécanismes qui poussent une personne à commettre les pires atrocités n'est pas ce qu'on peut appeler une tâche aisée. Pour ce faire, il faut plonger dans les méandres d'esprits torturés ou pervers, tout le monde ne peut pas le supporter. Mais voilà, on en apprend plus sur l'esprit humain ainsi. N'est-ce pas la quête de chacun, connaître l'Homme ?

- Voilà un jeune homme bien exalté… - un long silence s'en suivit. - Vous avez jusqu'à fin janvier pour récupérer votre première année de retard sur la classe de Monsieur Graham. A échéance, vous aurez une épreuve écrite afin de la valider. De Février à fin Juin, vous poursuivrez avec les cours de deuxième année. En ce qui concerne les deux mois passés, Monsieur Graham est d'accord pour vous rencontrer tous les soirs après dix-huit heures sur trois semaines et, bien sûr, vous participerez dès demain à ses cours actuels. Cela vous convient-il ?

- Oui… Je vous remercie de votre confiance. »

Le professeur Hardaway inclina légèrement la tête et fit signe à Gabriel de le laisser, à présent.

 

Scotland Airlines – Vol 8502

Le vol 8502 à destination de Glasgow touchait à sa fin. D'ici approximativement une dizaine de minutes, les passagers pourraient poser le pied sur la terre ferme après vingt cinq heures d'un interminable trajet. Réveillé par l'annonce de l'hôtesse de l'air, Morgan ouvrit les yeux avec difficulté et caressa l'épaule de la jeune femme aux cheveux châtains, endormie à ses côtés. Elle remua quelque peu, releva la tête, s'étira dans un grand bâillement, pour finir par se caler confortablement dans son siège :

« - J'ai l'impression que tu t'es bien reposée, je me trompe ? - Fit Morgan le sourire aux lèvres.

- J'avais du sommeil en retard.

- Moi aussi, et pourtant je n'ai fait que somnoler.

- Rien d'étonnant, toi il te faut un vrai lit pour dormir, et pas n'importe lequel, ton lit !

- Qu'est-ce que tu racontes ? ! M'as-tu entendu me plaindre une seule fois ?

- Non, mais tu as été d'une humeur massacrante…

- Tu racontes n'importe quoi ! Moi, de mauvaise humeur, laisses-moi rire !

- Tu sais que tu as les rides de ton front qui se creusent quand tu t'énerves. Je trouve ça trop sexy.

Coi, le jeune homme resta muet un court instant.

- Ah oui… !

- Ouais.»

Immédiatement après sa réponse, la jolie femme aux cheveux bouclés embrassa tendrement son compagnon. Eleanor Elisabeth Saint-John était ce genre de femme qui ne s'embarrassait pas de longs discours, qui préférait agir avant que la chance ne tourne. C'était ce côté, « oublions les convenances », qui avait plut à Morgan lorsqu'il l'avait rencontré voilà deux ans. Aujourd'hui, ils parlaient de vivre ensemble et rien ne pouvait lui faire plus plaisir. A travers le hublot, le jeune archéologue vit se profiler derrière les nuages les premiers toits de la ville de Glasgow. C'était un paysage magnifique, presque enchanteur et pourtant, il ne put réfréner un frisson : « Le calme avant la tempête » se surprit-il à songer.

 

Scotland Airlines – Aéroport de Glasgow

Les premiers passagers du vol 8502 investirent le hall de l'aéroport et furent bientôt rejoints par le reste des voyageurs. Pour Morgan, c'était une véritable bénédiction de pouvoir enfin mettre les pieds sur le « plancher des vaches », de pouvoir humer l'air de cette Ecosse qu'il choyait tant. Il esquissa un sourire radieux. Il était à la maison, sa maison. Il passa prendre ses bagages ainsi que ceux d'Eleanor, puis tous deux se dirigèrent vers la sortie. Très vite, ils furent rattrapés par un jeune homme blond, aux yeux couleur azur, qui ne cessait de crier leurs noms. Il s'agissait de Garret Fisher, leur collègue de travail et également, le meilleur ami de Morgan. Contrairement aux jeunes tourtereaux, il avait fait le voyage en seconde classe, refusant catégoriquement que son ami lui paye sa place :

« - Vous pouvez vous vanter de m'avoir fait courir tous les deux ! - Dit-il, exténué.

- On te croyait déjà dehors. - S'excusa Eleanor.

- Ca aurait été le cas si ces idiots de la sécurité n'avaient pas fouillé par trois fois l'ensemble de mes

bagages !

- Trois fois ? ! - Fit Morgan amusé.

- Non, mais c'est vrai, est-ce que j'ai la tête d'un criminel ou quoi ! !

- Mon pauvre Garret… A ta place j'aurais réagis de la même façon. - Compatis Eleanor.

- Au fait, - Changea-t-il brusquement de sujet. - j'ai quand même eu le temps de nous réserver un taxi.

- Mais enfin, j'aurais pu vous raccompagner ! - Lâcha Morgan, surpris.

- Ecoutes mon chéri, tu n'es pas obligé de faire ça pour nous… Je sais que tu es épuisé, que tu es pressé de rentrer chez toi et moi et Garret nous habitons à l'opposé. Alors, ne t'inquiètes pas, ce n'est pas la première fois que nous prenons le taxi.

- Ok, je n'insiste pas, même si je ne me sentais pas du tout obligé. Alors… on se voit demain, disons… à quinze heures pour l'inventaire. J'espère qu'il y aura tout, on n'est pas à l'abri d'une erreur avec les douanes.

- Quinze heures, ça marche. - Confirma Garret.

- A demain, mon amour. - Eleanor effleura les lèvres de Morgan avec douceur.

- A demain. »

Le jeune archéologue abandonna ses amis pour se retrouver quelques instants plus tard sur le trottoir. Un homme habillé de noir, une casquette assortie à se tenue, se présenta bientôt devant lui. Il s'empara de ses bagages et le conduisit à la Limousine située à trois pas de là. Une fois installé, la somptueuse voiture démarra. Morgan regardait le paysage défiler sous ses yeux, il ne pensait plus à rien, seule comptait cette insidieuse envie de dormir. Seulement voilà, il n'était pas encore couché. Ce soir, il fêtait les cinquante ans de son père :

« Anthony.

- Oui, Monsieur.

- Conduisez-moi à l'Université de Glasgow, s'il vous plaît, je voudrais faire une surprise à mon frère.

- Bien, Monsieur. »

 

Université de Glasgow

Gabriel venait de sortir de la bibliothèque lorsqu'il aperçut Anna-Lisa assise seule sur un banc. D'abord hésitant, il vint s'asseoir à ses côtés. Elle leva la tête, jeta un coup d'œil sur l'intrus, puis se replongea dans sa lecture. De son côté, le garçon l'étudia avec attention. De longs cheveux couleur caramel et parfaitement lissés, la peau claire et légèrement rosée, des lèvres fines et bien dessinées, il ne la trouvait pas jolie comme il l'avait dit à ses amis, mais magnifique. Il toussota et elle posa ses grands yeux couleur noisette sur lui :

« - Il y a un problème ?

- Je… je me demandais… si tu avais un cavalier pour le bal de samedi soir.

- Si tu veux m'inviter, il en est hors de question. - répondit-elle avec dédain.

- Quoi ? !

- Avec toi, Gabriel, je n'irai jamais nulle part.

- Je vois… Mademoiselle est trop bien pour sortir avec moi ! T'es vraiment qu'une salle snobinarde !!! - Il se leva.

- Snobinarde, moi ! Si tu crois que je ne vous ai pas entendu, toi et tes copains ! Tu lui sors le grand jeu et puis…

- Une minute… Je n'ai jamais dit que j'acceptais.

- Elle est froide, distante !

- Tu n'es pas très bavarde, c'est tout ce que je voulais dire. Je n'ai jamais rien eu contre toi, tout ce que je voulais c'était t'inviter pour apprendre à mieux te connaître.

- Tu me prends pour une imbécile ! !

- Ecoutes, vu ta réaction, j'annule mon offre, ça ne m'intéresse plus. - Il secoua la tête et partit.

Anna-Lisa le regarda ne sachant comment réagir.

- Gabriel ! Attends ! - Il se retourna. - Je, je m'excuse, je n'aurais pas dû…

- Je veux bien passer l'éponge… A condition… que tu m'accompagnes au bal.

- …Marché conclu. – La jeune fille esquissa un sourire juste après lui avoir répondu.

- Bien… Je pourrais avoir ton adresse ? - Elle attrapa un stylo dans son sac et inscrivit la réponse dans la paume du jeune homme. - D'accord, je passerai te prendre à sept heures.

- A samedi, alors. »

Gabe était aux anges, elle avait dit oui. Il partit le cœur léger sans se douter qu'il n'était pas au bout de ses surprises. A l'entrée de l'établissement, il vit la Limousine de son père. La portière s'ouvrit et Morgan apparut. Il avait l'air fatigué, ses cheveux blond foncés étaient en pagaille, il était mal rasé, mais il l'aurait reconnu parmi mille. Il traversa la route, resta un moment face à son frère et tous deux s'étreignirent.

 

Extérieur Glasgow – Manoir Oswald

Ira fixait l'enveloppe qu'il tenait fermement entre ses deux mains, à la fois surpris et anxieux. Il n'avait plus reçu ce genre de missive depuis bien des années, pourquoi le contacter après tout ce temps, ce devait être une erreur. Pourtant, en son fort intérieur, il savait que ce n'était pas le cas, quelque chose de grave se tramait, quelque chose qui le concernait, lui. Il se décida à la décacheter, le cœur prêt à exploser. Dès les premières lignes de la lettre, il comprit que ce qu'il redoutait tant venait de se produire. Ils étaient de retour, plus puissants que jamais et, d'après son indicateur, ils ne tarderaient pas à découvrir l'endroit où il se terrait. Le temps lui était compté, il fallait qu'il agisse au plus vite, pour éviter le pire. Ses garçons, voilà quelle était sa priorité. Il attrapa le combiné du téléphone et composa un numéro :

« Oui, bonjour Madame, je souhaiterais passer un appel en PCV, s'il vous plaît… 285-922-41… Merci… … … Allô !, Dexter ? … Ici Oswald, j'ai bien reçu votre message, pouvons-nous nous rencontrer demain soir ? … Non, après il sera trop tard… Ne vous inquiétez pas, je vais prendre toutes les dispositions nécessaires dès à présent… Parfait, je vous attendrai au lieu habituel à partir de 1 h 00… Au revoir. »

Après avoir raccroché, Ira demanda à Fergus, son majordome, de se présenter à son bureau.

 

Le soleil couchant dardait ses derniers rayons sur le Manoir des Oswald lorsque la Limousine qui ramenait Morgan et Gabriel en leur demeure franchit le portail d'entrée. A peine les deux frères venaient-ils de gravir les quelques marches qui menaient au perron, que la porte s'ouvrit sur leur dévoué domestique :

« - Monsieur Morgan ! - Il prit le jeune homme dans ses bras. - Quelle joie de vous revoir !

- Vous m'avez manqué aussi, Fergus.

- Et moi alors, on m'oublie ! - Feignit Gabriel, l'air indigné.

- Allons, Monsieur, cessez de faire l'enfant.

- Ce n'est rien Fergus, mon frère s'était habitué à son statut de… fils unique.

- Ben voyons… Puisqu'il en est ainsi, je me vois dans l'obligation de vous priver de ma présence et vous l'aurez bien cherché ! »

Gabriel prit la direction des escaliers et laissa son frère seul avec Fergus. Impatient de connaître tous les détails de l'expédition menée par son jeune maître, ce dernier inonda de questions le pauvre Morgan qui, las, aspirait plutôt à retrouver la tranquillité de sa chambre. Pour s'extirper de ces flots de bavardages, il se renseigna sur la présence éventuelle de son père au Manoir. Il s'excusa auprès du vieil homme quand il apprit, qu'effectivement, il se trouvait dans son bureau : il souhaitait s'entretenir avec lui. Arrivé devant ledit bureau, le jeune homme ressentit comme un malaise. Pas un son, pas le moindre frémissement. Ce silence, quasi-irréel, lui glaça l'échine. Il frappa par trois fois à la porte avant qu'Ira Oswald ne se manifeste :

« - Entrez.

- Bonjour papa.

- Morgan ! - Ira abandonna les bras de son confortable fauteuil pour venir embrasser son fils. - Tu as l'air… - il l'étudia plus en détail. - …Tu as une mine affreuse.

- Je te remercie, ça fait plaisir.

- Ce que… je veux te dire, c'est que tu aurais besoin d'une bonne nuit de sommeil.

- J'avais compris… - Morgan prit un air sérieux. - Et toi, tout va bien ?

- Des petits soucis avec le boulot, mais… rien d'inhabituel.

- Tu es vraiment sûr ?

- Evidemment. Ai-je l'air si inquiet que ça ?

- Non… non… c'est juste… je ne sais pas… tout a l'air si calme, toi, ton bureau.

- Et c'est surprenant ?

- Et bien, j'ai le souvenir d'un père surchargé de travail, d'un bureau couvert de dossiers, du bruit engendré par un ordinateur en marche, j'en passe et des meilleurs. Et là, rien.

- Figures toi que tu n'es pas le seul à te sentir fatigué, le surmenage. Alors, je me suis accordé deux jours de congés et comme tu peux le constater, j'étais plongé dans une lecture passionnante. - Il indiqua de la tête le livre ouvert qui était posé sur son fauteuil.

- Oui, vu sous cet angle… Je me sens légèrement ridicule… Bon… Je crois que je vais te laisser, une bonne douche ne me ferait pas de mal. - Il fit quelques pas, puis s'arrêta. - Au fait, joyeux anniversaire.

- Merci. »

 

 

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