Chapitre 4

 

Institut Raven – Nouvelle Zélande, Ile Sud

Les épais nuages, qui recouvraient la voûte céleste une heure plus tôt, ne formaient à présent plus qu'une seule et même couche. La pluie tombait avec force sous les grondements du tonnerre et le vent balayait tout sur son passage. Morgan contemplait ce spectacle diluvien derrière les carreaux du bureau de feu le professeur Covington. Tout ceci lui rappelait par trop la mort de son père. Le même déluge, la même violence, incontrôlable. Il ressentait de l'appréhension et plus le temps passait, plus elle s'intensifiait. Il retourna auprès de Kirsten qui tentait de percer la sécurité du portable de son oncle :

« - Et merde ! Encore raté… - Lança-t-elle démoralisée.

-  Tu permets ?

-  Tu penses pouvoir faire mieux ? J'en doute…

-  Observes et apprends. »

Kirsten céda sa place à son nouvel ami, persuadée qu'il n'arriverait à rien, là où elle avait échoué. Morgan posa ses doigts sur le clavier et ferma les yeux une seconde à peine. Quand il les rouvrit, il se trouvait dans ce même bureau, derrière le siège du professeur Covington qui faisait face à son ordinateur. Pour l'archéologue, c'était une vision vraiment agréable. Non seulement il pouvait faire appel à ce pouvoir à volonté, mais en plus, le sang, la mort et le malheur n'y avaient pour une fois pas leur place. Il s'approcha du siège du professeur et jeta un œil par-dessus son épaule. Il se concentra un peu plus et le temps se mit à tourner au ralenti. Morgan avait ainsi tout le loisir nécessaire pour noter chacun des caractères qu'il entrait. Il sourit. Finalement, il y avait du bon dans le fait d'être différent. Il revint dans la réalité et tapa les lettres : N-E-R-O-N avant d'appuyer sur la touche enter. Une nouvelle fenêtre s'ouvrit, il s'était introduit dans la bécane :

« - Mais comment as-tu fait ? – Questionna Kirsten, incrédule.

-  Ton oncle était passionné par l'Atlantide non ? Alors, qui mieux que le souverain de la cité d'Atlantis ne pouvait incarner le mythe…

-  Stupéfiant ! J'avais toujours imaginé que son mot de passe était plus… classique. Comme lui.

-  Bien. Voyons voir ce que cache les entrailles de la bête… »

Morgan lança l'explorateur. Une série de dossiers et de fichiers assemblés selon leurs liens de parenté apparut sur l'écran. Tous ou presque portaient un nom en référence à l'Atlantide. Cependant, un seul retint l'intention de l'archéologue : Atlant's graphs . Il cliqua sur le petit plus qui se trouvait à gauche du dossier pour avoir accès aux sous rubriques. Kirsten qui avait une main posée sur le dossier de la chaise où était assis le jeune homme pointa du doigt le document intitulé Scans . Un album photos qu'ils pouvaient feuilleter à leur guise s'ouvrit alors. Morgan fit défiler les clichés un à un, mais jusqu'ici rien qui ne ressemblait aux pictogrammes atlantes. Pourquoi avait-il imaginé qu'il trouverait des réponses là ? C'était si ridicule de la part d'un scientifique tel que lui. A travers tous ces millénaires, l'histoire n'avait retenu de ce continent que le mythe et rien d'autre. Le cri strident de Kirsten le tira de sa léthargie :

« - Là ! Reviens à la page précédente ! – Morgan obtempéra. – Regardes là, dans le fond, quelque chose à été entouré…

- Attends, je fais un zoom. – il fit glisser la loupe à l'emplacement indiqué par Kirsten et cliqua dessus. – Oui, C'est ça ! Regardes en dessous de la photo, il y a une légende… »

Les deux jeunes gens suivirent les instructions de la légende et ouvrirent le document correspondant. Là, figuraient en plus grand format les douze icônes extraits de la photographie précédente, ainsi que diverses indications, références à d'autres langues anciennes, ouvrages et quelques tentatives de traduction. Mais ce qui importait le plus aux yeux de Morgan, c'était cet encadré situé en bas de page. Le professeur y expliquait comment il avait découvert le moyen de traduire cette mystérieuse langue. Sa première erreur avait été de penser qu'elle avait des similitudes avec le sumérien alors qu'en fait il s'agissait du contraire. C'était le sumérien qui présentait des similitudes avec elle. Il était parti du postulat que le sumérien, comme on le lui avait enseigné, était la première langue écrite jamais découverte. Mais, après avoir appris que ces symboles gravés dans la pierre et trouvés en Islande dans une grotte prisonnière des glaces bien des années avant la date estimée de la naissance de l'écriture, il avait bien été forcé de se rendre à l'évidence. C'était la preuve, la preuve ultime que sa théorie avait toujours été la bonne. Morgan se tourna vers Kirsten :

« - Il me faut une copie. – La jeune fille lui passa aussitôt une disquette. – Comment ?...

- J'ai anticipé la demande. – Elle lui fit un large sourire. »

Morgan glissa ladite disquette dans l'appareil et commença la copie.

 

Huit des soldats de Tyler Abrahams arpentaient un long couloir à peine éclairé par la lueur blafarde des néons de secours. Soudain, l'un d'eux repéra les portes encore ouvertes de la cage d'ascenseur et tous s'en approchèrent silencieusement, flingues en évidence. La cage s'avéra vide. Le molosse qui l'inspectait leva la tête et aperçut la cabine qui se situait un étage plus haut, celui-là même où se cachait la cible, quelques heures plus tôt. Oswald était passé par là, ce qui signifiait qu'il s'était réfugié à cet étage :

« Unité Alpha à Commandement. Avons trouvé la cible. Je répète. Avons trouvé la cible. Deuxième étage… »

 

Un sourire malfaisant éclaira le visage couleur ébène d'Abrahams. Enfin une nouvelle qui sonnait agréablement à son oreille :

« Commandement à Unité Alpha. Nous arrivons. Terminé »

Tyler croisa le regard de son second et tous d'eux se mirent en route. Il allait faire regretter à Oswald ce petit jeu ridicule. Et surtout, il lui devait un coup. Il n'avait pas oublié la porte du placard qu'il s'était pris de plein fouet, non, il n'avait pas oublié. Après, je n'aurai plus qu'à cueillir le petit frère, récupérer le parchemin et… J'aurai enfin la place qui me revient de droit.

 

La barre de téléchargement indiquait 89%. Morgan attendait patiemment tandis que Kirsten, les mains dans les poches arrière de son jean, s'était postée à proximité de la porte d'entrée. Elle perçut le bruit étouffé de pas qui se rapprochaient :

« - Ils arrivent. – Dit-elle en se tournant vers son ami.

- Je n'ai rien entendu.

- Ils arrivent. – Insista la jeune femme. Morgan comprit alors qu'elle ne plaisantait pas.

- Il me reste encore 9% à télécharger. Je ne partirai pas sans.

- Ok. – Elle retourna auprès du jeune archéologue et s'empara de l'arme qu'il avait déposée sur le bureau. – Je te l'empreinte. – Lui précisa-t-elle en l'agitant sous son nez. – Je me sens bien plus en sécurité avec deux flingues. – Sur ce, elle s'empara du sien et brandit les deux armes avant de se coller contre la porte qu'elle poussa légèrement.

- Je fais au plus vite. »

Morgan reporta son intention sur l'écran et commença à tapoter du bout des doigts le plan de travail du secrétaire. Le stress le gagnait. Il s'agissait plus d'un tic nerveux que de l'impatiente. Kirsten risquait la mort. Lui, ce n'était pas pareil. Pandora le voulait vivant. Kirsten était l'essentiel, sa priorité :

« - Et merde ! – S'exclama soudain la belle brune, à voix basse. – Ils sont plus nombreux que tout à l'heure… Grouille !

- 5%. J'y suis presque.

- Je vais faire diversion.

- Ca ne va pas ?!

- Ils seront là avant que tu n'aies fini. Il n'y a pas d'autres choix.

- Mais tu ne vas pas jouer à Lara Croft là ! On n'est pas dans un jeu vidéo… »

La jeune femme n'écouta pas. Elle poussa avec l'épaule la porte et se jeta dans le couloir, les bras tendus. A peine à découvert, elle appuya sur les gâchettes en direction des huit hommes qui ne se trouvaient plus qu'à quelques mètres de sa position. Les deux balles atteignirent l'épaule du soldat qui marchait en tête, pour l'une, et le révolver de celui qui se trouvait complètement à droite, pour l'autre. L'automatique qui était pointé en direction de Kirsten, prêt à faire feu, fut éjecté derrière l'épaule du type sous la vitesse du heurt. Les gaillards se mirent alors en position de riposte. L'un s'accroupit au sol, l'autre se jeta contre le mur, le blessé se cacha derrière le gros molosse qui n'avait pas bougé, un cinquième se précipita plus en avant, celui qui avait perdu son arme en sortit une autre de l'étui attaché à sa cuisse gauche et les deux derniers se positionnèrent de chaque côté de l'autre bodybuildé, chacun un fusil à pompe à la main. Les tirs fusèrent. Kirsten parvint à envoyer l'un des soldats à terre juste avant de recevoir une cartouche de fusil dans la cuisse. Elle se précipita dans le renfoncement d'une porte pour se mettre à l'abri.

 

Au bruit incessant des échanges de coup de feu, Morgan riva les yeux sur la porte restée largement ouverte. Kirsten avait disparu. Où était-elle ? Le tilt annonçant le succès de la copie le fit sursauter. Il récupéra la disquette, tremblant, et se précipita vers la porte. De sa position, il vit son amie se mettre à couvert dans une encoignure. Kirsten l'aperçut à son tour lorsqu'elle se redressa pour tirer :

« Je te couvre ! »

En croisant le regard de l'incroyable brune qui se démenait corps et âme pour lui, Morgan se sentit plus en confiance. Il inclina la tête et sortit en courant du bureau de Covington. Le colosse de l'unité Alpha réagit aussitôt en s'emparant d'un pistolet à tranquillisants. Il enfonça la détente par trois fois. La première fléchette rasa l'épaule de Morgan, la seconde passa largement au-dessus de sa cible et la troisième vit sa trajectoire coupée par la balle provenant d'un des révolvers de Kirsten. Le molosse regarda dans sa direction, l'expression étrange. Soit c'était un coup de chance, soit cette fille avait un œil de lynx. Morgan emprunta un tournant et ouvrit la porte de verre qui donnait sur une terrasse séparant les deux parties du bâtiment. Il la traversa pour se rendre de l'autre côté. Le peu de temps qu'il resta dehors suffirent pour lui tremper les cheveux et le haut de sa veste. A nouveau à l'intérieur, il tenta d'ouvrir toutes les portes qu'il rencontra sur son passage. Malheureusement, elles demeuraient closes.

 

Université LaFayette – Lawson

Le Skye était la brasserie la plus fréquentée de tout le campus universitaire de Lawson. Sa notoriété relevait de l'atmosphère chaleureuse et bonne enfant que lui conférait sa décoration intérieure, tout à fait atypique. Le propriétaire avait tout misé sur des couleurs chaudes, tels le rouge, l'orange ou le jaune, sur un mobilier aux formes ovoïdales et sur les reproductions de célèbres peintures expressionnistes qui ornaient ses murs. Gabe poussa la porte battante et posa le pied dans cet endroit aux allures intemporelles. Il regarda autour de lui et repéra Holly qui l'attendait bien tranquillement à une table, plongée dans un bouquin volumineux. Elle leva la tête lorsqu'il s'installa dans le fauteuil jaune qui se trouvait juste en face :

« - Salut.

- Salut. – Répondit-il ne sachant par où commencer.

- De quoi voulais-tu me parler ?

- Je suis au courant pour ton… accrochage avec Meredith et… le reste.

- Je vois… Ronan ?

- Oui.

- Ne t'inquiètes pas, je m'en suis très bien sortie. Comme me l'a expliqué Sullych, en long, en large et en travers, j'ai bénéficié d'un traitement de faveur grâce à mes « excellents résultats ». – Elle fit de petits gestes avec les mains pour signaler les guillemets. – Je m'en tire avec une journée d'exclusion et un mois de mise à l'essai.

- Mais, tu aurais pu éviter ça…

- Et me priver du plaisir de mettre Meredith au tapis ? Non, ça sûrement pas.

- Je ne savais pas que tu savais jouer à karaté girl. – Poursuivit-il, un sourire en coin.

- Mais, il y a un tas de choses que tu ignores à mon sujet…

- Comme ?

- Ca, il faudra que tu le découvres. Et d'ailleurs, je suis sûre que c'est pareil pour toi. – Un lueur étrange était apparue dans le regard de la blondinette alors qu'elle prononçait cette phrase.

- De quoi tu parles ?

- De l'histoire avec le professeur Sherwood et puis aussi… avec le club Underworld.

- Quoi ?! – Mais comment sait-elle ça ? C'est impensable !

- Tu ne vois pas où je veux en venir ? – Elle leva un sourcil, suspicieuse.

- Je ne sais que ce que les journaux en ont dit. Le club a fermé à cause des magouilles dans lesquelles aurait trempées le patron.

- Et c'est tout ce que tu sais ? – Elle retira ses coudes de la table et se cala contre le dossier de son siège rouge. – Etrange… Figures-toi que le jour de la descente de flics, j'ai cru reconnaître l'ami de ton frère, Garret je crois, qui discutait dans un snack avec une fille qui ressemblait étrangement à la petite amie du patron de l'Underworld. Sur les photos des journaux, ils étaient toujours flanqués l'un de l'autre. Et soudainement, après cette histoire, elle disparaît…

- Oui, c'est étrange en effet. Mais, je ne peux pas t'aider sur ce coup là. Tout ce que je peux t'affirmer, c'est que si ce que tu dis est vrai, Garret n'en a jamais rien dit. Et… Je doute qu'il ait donné rendez-vous à une fille sans s'en être vanté avant. Il est tellement avare de bavardages dès qu'il s'agit des femmes. Non. Il est incapable de tenir sa langue. – Ce n'est pas comme si tu lui mentais. Tu déformes la vérité, c'est tout. Tout ce que tu as dit à propos de Garret est véridique. Donc… Tu n'as pas à te sentir gêné.

- Ouais… – Holly semblait hésitante. Il y a quelque chose qui cloche… Mais quoi ? – Tu le connais mieux que moi. Et puis… Garret me semble tout à fait le genre de personne que tu m'as décrite. – Elle héla soudainement un serveur. – Je pourrais avoir un autre café, Harry ?

- Tout de suite, Holly !

- Tu ne prends rien ? – Demanda l'étudiante à Gabriel.

- Non. Merci. Est-ce que tu pourrais me passer une minute ton livre ?

- Euh… oui. – Holly tendit à son ami l'ouvrage qui était posé sur la table à côté de son mug vide. »

Gabriel ne l'ouvrit pas. Il fixait simplement la couverture. C'était vraiment stupéfiant. Le sigle de la maison d'édition était un symbole atlante. Celui-là même qui avait une forme pyramidale, celui qui signifiait : clé.

 

Trouve la clé, Gabe… Destiné… Vers l'horizon…

 

Gabe buvait les paroles de cette voix si mélodieuse, tel un nectar divin. Il percevait sa chaleur, sa douceur et cela lui procurait un sentiment de sérénité inébranlable. En confiance, totalement en osmose avec ses vibrations, Gabe savait qu'elle se manifestait afin de l'aider, de lui faire passer un message. Mais elle était si lointaine, qu'il ne pouvait tout comprendre. Une chose était sûre, il fallait qu'il trouve le siège de cette maison d'édition. C'était un signe.

 

 

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